Championnat du monde d’échecs 2018 : Carlsen et Caruana, un cas intéressant
Depuis la retraite de Kasparov, les médias francophones européens boudent les échecs. En Europe occidentale, seuls les médias britanniques (The Guardian, grâce à Leonard Barden, mais cet illustre auteur et joueur, dont le nombre de Morphy s’élève à 3, est âgé de 89 ans…), allemands et autrichiens parlent régulièrement du Noble Jeu. Il faut dire que les échecs ne sont plus aussi politisés qu’au temps de la guerre froide : depuis 2013, le champion du monde est Magnus Carlsen, un Norvégien de 27 ans, beau garçon, souriant, très éloigné du terrible Bobby Fischer !
A six mois du match de championnat du monde masculin (Londres, du 9 au 28 novembre 2018, douze parties), il n’est pas illégitime de se demander comment se sent Magnus Carlsen, si ses chances de garder son titre sont intactes. Son adversaire sera Fabiano Caruana, Américain de 26 ans, natif de Miami, vainqueur du Tournoi des candidats 2018 à Berlin en mars dernier. Les huit joueurs qui s’affrontaient à Berlin furent sélectionnés selon les critères suivants :
Fabiano Caruana : meilleure moyenne des classements mensuels Elo de 2017
Wesley So (Etats-Unis) : deuxième meilleure moyenne des classements mensuels Elo de 2017
Sergueï Kariakine (Russie) : automatiquement qualifié en tant que dernier challenger de Carlsen au championnat du monde de 2016
Levon Aronian (Arménie) : vainqueur de la Coupe du Monde 2017
Ding Liren (Chine) : finaliste malheureux de la Coupe du Monde 2017
Shakhriyar Mamedyarov (Azerbaïdjan) : vainqueur du Grand Prix FIDE 2017
Aleksandr Grichtchouk (Russie) : deuxième du Grand Prix FIDE 2017
Vladimir Kramnik (Russie) : invité par les organisateurs
Depuis le Tournoi des Candidats, qu’il a remporté avec un score de 9/14, Caruana est classé numéro 2 mondial et il a remporté le Grenke Chess Classic de Baden-Baden, où Carlsen a terminé à la deuxième place, ayant été incapable de battre Caruana à la première ronde malgré une position gagnante.
Puis, Caruana ne parvint pas à gagner une nouvelle fois le championnat des Etats-Unis (remporté en 2016), coiffé au poteau par Sam Shankland, un joueur classé 130 points Elo de moins que lui… Mais impossible d’en vouloir à Caruana, la fatigue y étant sans doute pour quelque chose.
Le plus inquiétant, pour Carlsen, fut sa passivité lors du championnat du monde de blitz 2017, à la première ronde, lorsque son adversaire, le Russe Ernesto Inarkiev, prétexta un coup illégal de Carlsen pour réclamer à l’arbitre le gain de la partie ! En effet, Inarkiev, en zeitnot, joua un coup illégal en mettant le roi de Carlsen en échec, alors que son propre roi était en échec ! Carlsen ne le vit pas, ce qui est incompréhensible de la part du champion du monde, et il joua un coup légal pour parer l’échec. C’est alors qu’Inarkiev exigea et obtint le gain de la partie, devant un Carlsen naïf et surtout passif. C’est plus tard qu’il se rendit compte de sa naïveté et qu’il demanda aux arbitres de revenir sur leur décision. La partie fut finalement déclarée gagnée par Carlsen, par forfait, car l’arbitre exigea d’Inarkiev qu’il poursuive la partie là où elle en était restée, ce que le Russe refusa.
Comment un champion du monde peut-il se montrer aussi faible dans une telle situation ? Heureusement pour lui, il parvint à retrouver ses esprits et à remporter le championnat du monde de blitz après 11 rondes.
A six mois du match, Carlsen est toujours le numéro 1 mondial avec 2843 Elo, tandis que Caruana est son dauphin avec 2822. Dans quelques jours, ils s’affronteront à nouveau dans le cadre du Norway Chess (27 mai – 8 juin), le Wimbledon des échecs selon Kasparov. Il sera alors particulièrement intéressant de voir si Fabiano Caruana saura battre Carlsen en terres norvégiennes.
Thomas Tartakover