Par Thomas Tartakover

« Nous serons amoureux, évidemment, le moins qu’on puisse. Et pas toujours en silence, pénibles et envahissants, et indignes, c’est bien, et pas toujours mélancoliques et pas toujours fidèles et purs. Et pas toujours, je ne sais plus, mais amoureux, ça oui ! » (Lagarce, « Du luxe et de l’impuissance »)

Arlequin poli par l’Amour, pièce mineure en un acte de Marivaux, représentée pour la première fois en 1720, nous a pourtant fait traverser trois océans et autant de continents car on nous en avait dit beaucoup de bien, en raison de la mise en scène de Thomas Jolly, fondateur de la compagnie La Piccola Familia en 2006, dont la première création fut justement cette pièce. Et c’est elle qui lança la carrière du jeune metteur en scène.

Il est vrai que les acteurs nous ont fait le plaisir de démystifier Marivaux. Ils ont chanté, dansé, les confettis ont volé, même les moutons nous ont font rire. Oui, Marivaux est un auteur contemporain ! Oui, une pièce mineure de Marivaux peut devenir une grande pièce lorsqu’elle est jouée par La Piccola Familia.

Arlequin est (ou se fait passer pour) un attardé mental, enlevé par la fée parce qu’elle le trouve beau, ce beau brunet. Cette fée presque déjà mariée à Merlin n’est pas un modèle de vertu… Les psychiatres de notre époque jouiraient de devoir traiter une personnalité aussi dominatrice et autoritaire…

Un ou deux couplets vaudraient bien des ennuis à Marivaux s’il envoyait le manuscrit chez les éditeurs post-Metoo : la cousine de Silvia dit à la jolie bergère : « Sois bien sévère, cela entretient l’amour d’un amant. (…) Il ne faut point aussi lui dire tant que tu l’aimes. » (Scène IX)

Et encore, à la Scène XI :

Arlequin : « Donnez-moi votre main, ma mignonne. »

Silvia : « Je ne le veux pas. »

Arlequin : « Je sais pourtant que vous le voudriez bien. »

Silvia : « Plus que vous, mais je ne veux pas le dire. »

Elle ne veut pas le dire ? Et pourtant, non, c’est non…

Arlequin veut sa liberté et il l’obtiendra grâce à cet amour pour Silvia, promise à un berger harceleur qu’elle ne parvient pas à aimer, et que « plus elle voit, moins elle aime. » Arlequin triomphe à la fin dans sa lutte contre la fée, il est « poli par l’Amour » car il reçoit l’esprit qui lui faisait tant défaut. Il dira à la fée, arroseuse arrosée, manipulatrice manipulée : « Vous me grondiez tantôt parce que je n’avais pas d’esprit… J’en ai pourtant plus que vous ! »

Situé au Boulevard de Strasbourg, le théâtre La Scala a été construit en 1872. Fermé en 1999, il a rouvert ses portes le 11 septembre dernier grâce à la générosité d’un couple de mécènes, Mélanie et Frédéric Biessy. La Scala mêlera tous les genres : théâtre, musique, danse… Prochainement : Dans la luge d’Arthur Schopenhauer, de Yazmina Reza, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia, du 31 octobre au 24 novembre.

© Nicolas Joubard
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